Favoriser le dialogue sociétal pour un contrat socio-écologique du 21e siècle

The Future is Unwritten | Photo by Max Böhme on Unsplash

Comment naviguer sur les mers agitées des grands défis sociétaux actuels ? Comment développer notre résilience et susciter l’adhésion à des transitions complexes ? L’histoire nous enseigne qu’il est illusoire de changer en profondeur une société par simple décret, au risque de conduire à davantage de divisions et de polarisations.

Il y a juste 80 ans, le 28 décembre 1944, le ministre Achille Van Acker signait le premier « arrêté-loi relatif à la sécurité sociale des travailleurs », immense progrès pour notre pays. Bien qu’il ait évolué et se soit étendu et modernisé, ce système de sécurité sociale reste une pierre angulaire de la cohésion de notre société. Et nous devrions nous rappeler que cette étape importante fut franchie grâce au processus de dialogue qui l’a précédé. Dès octobre 1941, un certain nombre de dirigeants d’organisations d’employeurs et de travailleurs et d’anciens hauts fonctionnaires mirent en place un réseau informel dans le but de rester en contact pendant l’occupation. C’est grâce au patient travail de concertation au sein de ce Comité Employeurs–Travailleurs que les bases du Pacte social ont pu être jetées, aboutissant à une vision équilibrée et concrète du système de Sécurité Sociale instauré ensuite par le gouvernement belge.

À bien des égards, nous vivons dans un monde différent de cette époque, qui suppose des stratégies nouvelles. Mais pour penser et organiser de manière démocratique les profonds changements nécessaires aujourd’hui, nous somme armés de l’expérience de notre histoire collective, dont celle de la Sécurité sociale.

L’après-guerre vît l’institutionnalisation d’un modèle belge de consultation qui nous a guidés à travers des situations difficiles. Le Conseil Central de l’Économie a été créé en 1948 pour reconstruire l’économie et stabiliser les relations sociales. Le Conseil National du Travail est mis en place en 1952 pour établir un cadre à la la négociation des conventions collectives. Le Conseil Fédéral du Développement Durable voit le jour en 1997 (à la suite des accords de Rio). Il intègre des représentants des organisations environnementales et de développement, des syndicats, des entreprises, du monde académiques, des conseils de la  jeunesse,… renforçant ainsi la multidisciplinarité du dialogue sociétal en faveur d’une transition écologique soutenable du pays.

Outre les conseils susmentionnés, il existe des organes consultatifs régionaux qui visent également l’amélioration des politiques publiques par des recommandations fondées sur les compétences de terrain des parties prenantes et l’apport de scientifiques. Cette articulation favorise l’évolution du débat public et amène la diversité des acteurs à mieux comprendre les contraintes et vision des autres groupes.

Le monde de 2025 est marqué par des relations géopolitiques bouleversées et se trouve confronté à une grave crise climatique qui aura un impact croissant sur l’économie. La transition écologique pose des défis en matière de justice sociale, du niveau local au niveau international. La compétitivité et l’innovation doivent être redéfinies dans le contexte d’une politique industrielle renouvelée tandis que la forte demande de matières premières devra être satisfaite en développant la circularité. Par ailleurs, les modèles démocratiques fondés sur les principes de l’État de droit et du droit international sont sous pression et des conflits armés éclatent aux confins de l’Europe. Tout cela modifie le rôle de l’Union Européenne en tant que communauté de valeurs et impacte le fonctionnement de démocraties parlementaires comme la nôtre.

A l’image de l’ancrage que fut le Pacte social d’après guerre, la Belgique a intérêt à construire, de façon concertée, les bases d’un nouveau contrat social-écologique pour une prospérité partagée au 21e siècle. Et pour le préparer, nous avons plus que jamais besoin d’un dialogue organisé et structurel, dans un cadre sûr, permettant l’émergence de nouvelles idées et d’alliances concrètes. C’est là que se situe le rôle stratégique des conseils consultatifs fédéraux qui ont démontré leur capacité à négocier des compromis pragmatiques.

Les avis concertés entre acteurs aux intérêts et points de vue diversifiés, permettent d’améliorer la qualité des politiques menées, leur évaluation et leur acceptation par la société, renforçant ainsi la cohésion sociale et la mobilisation collective vers des objectifs communs. Les institutions consultatives contribuent donc au bon fonctionnement de la démocratie belge en réduisant une polarisation sociétale fondée sur des intérêts électoraux court-termistes. Nous gagnons dès lors à ce qu’elles bénéficient d’une reconnaissance politique, d’un soutien suffisant et de bonnes conditions de travail, en particulier du temps nécessaire à la pratique de la concertation. Ceci implique également d’assurer aux organisations de la société civile les moyens de développer leur expertise et de participer aux processus de discussion.

Dans une époque marquée par la polarisation politique et la montée des populismes, la fonction consultative peut servir, à la fois, de rempart et d’éclaireuse. En favorisant le dialogue et la recherche de consensus, elle contrecarre les tendances à la radicalisation et à la simplification excessive des débats. Elle rappelle que la démocratie n’est pas un simple combat entre gagnants et perdants, mais un processus collectif visant à construire des solutions acceptables pour le plus grand nombre.

De nouveaux gouvernements sont entrés en fonction dans notre pays.  Pouvons-nous espérer qu’ils se tourneront vers l’avenir avec la conviction que le dialogue et la concertation organisée peuvent aider l’ensemble des élus, et la société, à définir des orientations et organiser des transitions parfois compliquées.

Prenons soin de notre patrimoine démocratique. Valorisons, voire élargissons ses outils pour créer les conditions d’une transition durable, équitable et largement soutenue. L’expérience et l’expertise des conseils consultatifs sont appelées à poursuivre ce qui s’est avéré si crucial par le passé. Car une démocratie qui écoute et dialogue est une démocratie robuste…

 

Patrick Dupriez, Président du CFDD

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