08 | Avis sur le projet de plan de l’ONDRAF relatif aux déchets radioactifs ainsi que sur le rapport sur les incidences environnementales

  • Demandé par l’ONDRAF dans une lettre datée du 15/04/2020
  • Préparé par le groupe de travail « Energie et Climat »
  • Approuvé par l’Assemblée générale par procédure écrite le 12 juin 2020

Avis (pdf)

 

 

 

1. Contexte

  • [1] Dans une lettre datée du 15 avril 2020, le CFDD a reçu une demande d’avis de l’ONDRAF[1] portant sur le projet de plan déchets de l’ONDRAF[2] daté de juin 2018, ainsi que sur son rapport stratégique sur les incidences environnementales (SEA) daté d’avril 2020. Cette consultation est prévue par la loi du 13 février 2006 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement et à la participation du public dans l’élaboration des plans et des programmes relatifs à l’environnement. L’avis est demandé pour le 13 juin 2020 au plus tard.
  • [2] L’ONDRAF a également lancé une consultation du public le 15 avril 2020, sur son site internet.
  • [3] Le projet de plan concerne la gestion des déchets radioactifs solides conditionnés de haute activité et des déchets radioactifs solides conditionnés de faible et moyenne activité et de longue durée de vie (également appelés déchets radioactifs de types B et C), en ce compris les combustibles usés déclarés comme déchets, les déchets issus du retraitement de combustibles usés, les matières fissiles excédentaires déclarées comme déchets ainsi que tous autres déchets radioactifs dont les caractéristiques sont compatibles avec la mise en stockage géologique. Une telle gestion a pour but de s’assurer autant que possible que ces déchets nucléaires n’aient pas des incidences dommageables sur l’environnement et la santé. Du fait du niveau d’activité et de la longue activité de ces déchets, cette gestion doit se concevoir en fonction de périodes s’étendant jusqu’à un million d’années.
  • [4] Le projet de plan consiste en un avant-projet d’arrêté royal. Il a pour but d’une part de déterminer un processus décisionnel de fixation de politique nationale relative à la gestion à long terme des déchets radioactifs, et d’autre part de définir la solution de gestion à long terme de ces déchets, à savoir le stockage géologique sur le territoire belge.
  • [5] Contrairement au projet de plan soumis en 2010 pour avis au CFDD, le projet de plan actuel propose de prendre une décision de principe sur le stockage géologique en Belgique, mais ne se prononce pas sur le type de roche hôte ni sur les lieux de stockage. Par conséquent, le rapport stratégique sur les incidences environnementales (SEA) est réalisé de manière théorique.
  • [6] La Commission européenne a lancé une procédure d’infraction contre la Belgique pour le non-respect de certaines exigences de la directive 2011/70/Euratom, à savoir l’adoption d’une politique nationale de gestion du combustible usé et des déchets de catégories B et C. Ce plan de gestion (avant-projet d’arrêté royal) et la procédure SEA qui y est associée s’inscrivent dans le processus d’adoption d’une éventuelle politique nationale et visent à répondre aux remarques faites par la Commission européenne dans cette procédure d’infraction.

2. Grille de lecture des positionnements des membres du CFDD

  • [7] Dans la partie 3 de l’avis, des principes généraux soutenus par tous les membres du CFDD seront présentés. Ensuite, le positionnement des membres sur différents thèmes sera précisé (parties 4 et suivantes).
  • [8] Dans les parties 4 et suivantes, les membres du CFDD font notamment des recommandations ou des constats consensuels. Les paragraphes consensuels sont ceux commençant par « Le Conseil » ou « Le CFDD ».
  • [9] D’autres points ou recommandations n’ont en revanche pas pu faire l’objet d’un consensus.
    • Une partie des membres du Conseil (« les membres A ») ont voté pour les paragraphes identifiés par le texte « Les membres A » et contre les paragraphes identifiés par le texte « Les membres B ». Il s’agit de Vanessa Biebel (vice-présidente), Ineke De Bisschop (FEB), Ann Nachtergaele (Fevia), Diane Schoonhoven (Boerenbond), Tom Van den Berghe (Febelfin), Françoise Van Tiggelen (DETIC) et Piet Vanden Abeele (UNIZO).
    • Une autre partie des membres (« les membres B ») ont voté pour les paragraphes identifiés par « Les membres B » et contre les paragraphes identifiés par « Les membres A ». Il s’agit de Mathias Bienstman (vice-président), Mathieu Verjans (vice-président), Olivier Beys (BBL), Arnaud Collignon (IEW), Giuseppina Desimone (FGTB), Wiske Jult (11.11.11), Christophe Quintard (FGTB), Véronique Rigot (CNCD-11.11.11), François Sana (CSC) et Hadrien Vanoverbeke (CGSLB).
    • Enfin, les membres suivants se sont abstenus sur l’ensemble de ces paragraphes non consensuels : François-Xavier de Donnea (président) et Norman Vander Putten (Forum des Jeunes).

3. Principes généraux soutenus par les membres du CFDD

  • [10] L’objectif général de la gestion des déchets radioactifs doit être de prendre en charge ces déchets de manière à protéger les humains et l’environnement, aujourd’hui et demain et ce, sans léguer des charges inacceptables aux générations futures.[3]
  • [11] La gestion des déchets nucléaires doit respecter le droit des générations futures à subir le moins d’impacts possible de nos modes non durables de consommation et de production.
  • [12] Il convient d’appliquer les dix principes fondamentaux de sûreté de l’AIEA[4], ainsi que les principes définis dans la Convention commune sur la sûreté de la gestion du combustible usé et sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs[5].
  • [13] Comme le prévoit le principe 5 « Optimisation de la protection » des principes fondamentaux cités ci-dessus, « la protection doit être optimisée de façon à apporter le plus haut niveau de sûreté que l’on puisse raisonnablement atteindre », notamment à l’égard des travailleurs du secteur.

4. Positionnement par rapport à la prise de décision quant au stockage géologique

4.1 Positionnement quant à la prise de décision

  • [14] Les membres A estiment qu’une décision de principe en faveur du stockage géologique doit être prise à court terme.
  • Ces membres font remarquer que le plan et son évaluation des incidences environnementales portent sur la toute première étape décisionnelle (de principe), à savoir ce que la Belgique compte faire de ces déchets. Il n’existe donc pas encore à ce stade de plan concret quant à savoir où, comment et quand cela devra se faire, ce qui est normal. Ce n’est que lors des phases suivantes du processus que des évaluations plus détaillées et plus complètes auront lieu.
  • En outre, une décision de principe permettrait à l’ONDRAF de progresser concrètement vers la réalisation d’un stockage géologique (en sus de répondre à l’infraction belge au niveau européen), ce qu’il aura plus de difficultés à faire sans décision de principe. Par ailleurs, il serait pour le moins étrange que lors d’interactions avec une population locale dans les étapes ultérieures, l’ONDRAF doive rester vague quant à la solution retenue (peut-être du stockage géologique, peut-être de l’entreposage à long terme, …), ce qui arriverait sans décision de principe.
  • Enfin, l’adoption d’un principe pour le stockage géologique marque le début d’une prise de responsabilité par rapport aux générations futures et ce, à l’inverse d’un report supplémentaire de la décision et du fait de continuer des études qui mèneront à la même conclusion et bloqueront l’ONDRAF.
  • Après le choix officiel de principe d’un stockage géologique, l’ONDRAF élaborera un processus décisionnel pour chaque étape ultérieure en vue de concrétiser la solution technique à mettre en œuvre.
  • [15] Les membres B estiment qu’une prise de décision rapide ne peut se faire au détriment d’une consultation publique de qualité ou sans que le public ne soit informé des conséquences concrètes qu’implique une telle prise de décision.
  • Ces membres B estiment que le processus décisionnel prévu dans le projet de plan aurait pu faire l’objet d’une demande d’avis beaucoup plus tôt. Ils constatent également que des décisions sont prises actuellement en-dehors d’un tel plan de gestion.
  • Ces membres B constatent par ailleurs que plus la décision est retardée, plus la dégradation des matières fissiles entreposées dans des conditions sèches peut devenir problématique.

4.2 Positionnement quant au stockage géologique

  • [16] Le CFDD constate que l’AFCN[6] s’est prononcée en faveur du stockage géologique[7]. Cette option est également celle qui est la plus avancée au niveau international sur le plan de la recherche. Le Conseil rappelle aussi qu’en application de l’article 179, § 6, 6°, alinéa 3, de la loi du 8 août 1980 relative aux propositions budgétaires 1979-1980, « les Politiques nationales en matière de gestion des déchets radioactifs et du combustible usé considéré comme déchet contiennent des modalités de réversibilité, de récupérabilité et de monitoring pour une période à déterminer (…) ». Le Conseil ajoute que la sécurité de tout stockage géologique dépend des modalités de ce stockage géologique (profondeur, stabilité de la couche géologique sur le temps long, perméabilité de la couche).
  • [17] Les membres A soutiennent une prise de décision de principe en faveur d’une gestion à long terme des déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie via un système de stockage géologique. En effet :
    • Après des décennies de recherche, il existe un large consensus international tant au niveau technico-scientifique qu’au niveau des politiques, quant au fait que le stockage géologique est la seule destination finale sûre pour les déchets de haute activité et/ou de longue durée de vie. Toutes les options possibles pour la gestion à long terme des déchets B&C ont été identifiées et évaluées à travers le monde. Hormis le stockage géologique, ces options sont contraires aux accords internationaux ou impliquent des risques majeurs non maîtrisables (fonds marins, calottes glaciaires, espace, injection sous forme liquide, …) ;
    • Le stockage géologique est également le seul à pouvoir garantir des « dispositifs de sûreté passive » comme le requiert la directive européenne 2011/70/Euratom
    • Tous les pays de l’OCDE et de l’UE qui possèdent au moins un réacteur nucléaire destiné à la production d’électricité ont opté pour le stockage géologique (seuls l’Italie, la Belgique et le Mexique n’ont pas encore décidé de la gestion à long terme de leurs déchets) ;
    • L’AFCN (l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire) et le SCK CEN (Centre d’étude de l’énergie nucléaire) se sont prononcés en faveur du stockage géologique ;
    • En 2014, l’administration fédérale a réalisé une ʺétude comparative des stratégies de gestion du combustible nucléaire belge ʺ. Chacune des options envisagées fait appel au stockage géologique.
  • Ces mêmes membres font remarquer qu’ils ne cloisonnent pas cette décision à un stockage géologique sur le territoire belge (cf. ci-après).
  • [18] Les membres B regrettent le manque d’études existant sur les autres options, et estiment que la prise éventuelle d’une décision de principe pour le stockage géologique est prématurée et ne doit pas empêcher d’envisager d’autres modes de gestion que celle retenue[8].

4.3 Récupérabilité

  •  [19] Le Conseil demande qu’à l’avenir, conformément à la loi du 8 août 1980, art. 179, §6, 6°, les rapports stratégiques sur les incidences environnementales portent une attention particulière à la récupérabilité des déchets enfouis, et ce pour une période à déterminer.

4.4 Recherche et maintien des connaissances

  • [20] Le CFDD reconnaît la qualité de la recherche effectuée en Belgique concernant l’option d’enfouissement géologique des déchets nucléaires. Le financement de cette recherche doit être assuré. Elle devra notamment s’attacher aux possibilités d’assurer le maintien et la transmission des connaissances de génération en génération.
  • [21] Le Conseil estime que la possible perte d’expertise concernant la gestion des déchets radioactifs est insuffisamment soulignée dans le rapport stratégique sur les incidences environnementales. Il insiste sur le besoin de maintenir la connaissance sur les périodes très longues où les déchets resteront dangereux.
  • [22] Les membres A estiment qu’une fois que la décision de principe en faveur du stockage géologique aura été prise, l’ONDRAF devra continuer à investiguer plus en avant ses recherches sur le stockage géologique (où, quand, comment), y compris au niveau des éléments suivants : la réversibilité[9], le stockage géologique partagé[10] et les forages profonds[11].
  • En parallèle, l’ONDRAF doit continuer à collecter et analyser les études internationales sur la gestion des déchets ou toute avancée technologique susceptible d’influencer la gestion des déchets à long terme.
  • [23] Les membres B estiment que la recherche doit se poursuivre et être élargie à d’autres options applicables en Belgique, en fonction de l’évolution des connaissances. Elle devrait être évaluée par des experts indépendants.
  • [24] Les membres A rappellent que l’ONDRAF est une organisation publique et que les réglementations qui s’appliquent à celui-ci (loi, AR, la directive européenne 2011/70, Joint Convention, …) définissent une série de modalités relatives au reporting (recherche, budget, bonnes pratiques, …). Par ailleurs, tous les 3 ans, une évaluation de la gestion des déchets en Belgique est réalisée par les autres pays membre de la Joint Convention. Un peer review tous les 10 ans est également prévu dans le cadre de la directive EU. Le programme de recherche de stockage géologique de l’ONDRAF a également été soumis à un peer review au niveau de l’OCDE. Les résultats des recherches de l’ONDRAF sont publiés dans la littérature scientifique et sont disponibles.
  • En outre, le programme et le budget annuels de l’ONDRAF sont présentés lors de son conseil d’administration, dont deux Commissaires du Gouvernement font partie. Ils sont ensuite communiqués au Ministre de tutelle.
  • [25] Les membres du groupe B soulignent que la dernière version du plan R&D de l’ONDRAF date de 2013 et que l’AFCN a demandé dans l’intervalle dans son avis de 2015 un élargissement de la recherche à d’autres roches hôtes, mais que l’ONDRAF n’a jusqu’à présent pas encore actualisé son plan pour en tenir compte. Une mise à jour du plan R&D s’impose donc.
  • Ces membres B demandent donc à l’ONDRAF de présenter rapidement 1. une évaluation des activités réalisées jusqu’à présent, en particulier depuis le dernier projet de plan de 2010 et l’avis de l’AFCN de 2015 ; et 2. un planning prévisionnel détaillé des activités et recherches qui seront effectuées les prochaines années, en ce compris les budgets demandés pour ces activités et recherches.
  • Ces membres B s’interrogent par ailleurs sur la manière dont les coûts liés au besoin de maintien de la connaissance sont / seront comptabilisés. 

4.5 Autres études et rapport stratégique sur les incidences environnementales

  • [26] Le CFDD demande d’étudier si, de quelle manière et dans quelle mesure le volume et la puissance thermique des déchets radioactifs à longue durée de vie peuvent être réduits, en tenant compte des coûts et risques éventuellement liés à cette réduction (en termes de flux de déchets, rejets, etc.).
  • [27] Le Conseil estime que dans les rapports d’incidences futurs, les dates de planification, lieux et profondeur d’enfouissement, conditions précises de stockage, le type de sol ou de roche, les risques associés, les contrôles prévus dans le temps et les coûts financiers, sociaux et environnementaux des différentes options devront être précisés.
  • [28] Le CFDD propose que les études d’incidences environnementales futures fassent appel à une expertise indépendante quand c’est pertinent.
  • [29] Les membres A estiment que la mission – légale – de l’ONDRAF est d’assurer la gestion sûre des déchets radioactifs, qu’ils proviennent de centrales électriques, de processus de recherche, du secteur médical ou industriel. L’ONDRAF n’a pas vocation à se prononcer sur la façon dont les combustibles nucléaires usés sont produits et gérés avant qu’il en ait la charge. En revanche, c’est à l’AFCN de s’assurer de la gestion sûre et responsable des déchets des différents « producteurs » en amont d’une gestion par l’ONDRAF.
  • L’ONDRAF, dans le cadre de sa gestion future des déchets a déjà signalé que la solution du stockage géologique était assez flexible pour pouvoir s’adapter à des variations de volumes de déchets, qu’ils aient pour origine une prolongation limitée de la durée de vie des centrales nucléaires ou une plus grande production du secteur médical ou industriel.
  • [30] Les membres B estiment que la solution de gestion des déchets radioactifs proposée par l’ONDRAF (enfouissement géologique sur le territoire belge) est difficile à isoler d’autres questions telles que les provisions financières, le débat sur la prolongation des centrales nucléaires etc. Ils estiment qu’une vision plus systémique de la problématique des déchets est nécessaire.
  • Ces membres B souhaiteraient que le rapport stratégique sur les incidences environnementales inclue des études de sensibilité (notamment sur l’impact d’une éventuelle prolongation des centrales nucléaires et de l’extension du timing du processus qui pourrait en résulter).
  • Ces membres B estiment par ailleurs que ce rapport devrait intégrer les conditions actuelles d’entreposage des combustibles usagés et les risques qui y sont liés dans son analyse pour garantir la sécurité optimale de ces installations sur toute la durée prévue par le processus.

5. Alternatives au stockage géologique

  • [31] Pour les membres A, l’entreposage en surface de déchets B&C sur le long terme ou pour une durée indéterminée n’est pas une solution. L’argument pour un entreposage en surface à long terme repose sur la supposition – très hypothétique –  qu’une solution alternative soit proposée dans un futur lointain. Cependant, dans le cadre d’une telle philosophie, des études additionnelles devraient continuer à être exigées dans l’espoir de trouver une solution encore meilleure. Une telle approche perpétuant l’entreposage en surface présente entre autres des risques liés à une gestion active à long terme (contraire à la directive européenne) et aux évolutions de nos modèles de société, rendant clairement cet entreposage risqué, tout en mettant potentiellement plus en danger les générations futures.
  • [32] Les membres B constatent qu’il n’existe aujourd’hui aucune garantie qu’un enfouissement sécurisé en couches géologiques profondes des déchets de haute activité et à vie longue soit possible, que ce soit en Belgique ou dans les pays voisins. Il est donc nécessaire d’étudier en parallèle la piste d’un stockage à long terme en tenant compte d’éventuels problèmes de dégradation et de la nécessité d’un reconditionnement qui peut nécessiter des installations supplémentaires. Les membres B soulignent également que même sans un retard supplémentaire dans la mise en œuvre de l’enfouissement en couches géologiques profondes, le stockage provisoire peut dépasser cent ans. Pour cette raison, les problèmes de dégradation doivent également être pris au sérieux durant cette période.
  • [33] Pour les membres A, le développement de la prochaine génération de réacteurs nucléaires laisse entrevoir l’émergence de nouvelles applications telles que la « séparation-transmutation » qui pourrait convertir certaines substances radioactives de longue durée en substances radioactives de courte durée. Cependant, elles ne seront pas applicables aux déchets B&C vitrifiés existants et ne préviendront pas la production de déchets futurs. Ces applications ne représentent donc pas une alternative au stockage géologique.
  • [34] Les membres B constatent que l’ONDRAF a conclu que même dans le cas hypothétique d’une transmutation, la nécessité d’un enfouissement en couches géologiques profondes ne change pas fondamentalement. Les membres B soulignent que cette transmutation entraînerait des risques supplémentaires graves, notamment des transports de déchets de haute activité, des rejets dans le milieu marin et dans l’atmosphère lors du retraitement ainsi que des risques de prolifération dans le cas d’une séparation du plutonium. En outre, il n’existe aucune estimation des coûts d’une telle opération et aucune provision nucléaire n’a été constituée à cet effet.

6. Projet de plan (avant-projet d’arrêté royal)

  • [35] Le CFDD constate que le projet de plan est générique et conceptuel.
  • [36] Les membres A estiment positif que ce projet de plan vise à fixer un premier pas dans un long processus décisionnel (cf. [14]).
  • [37] Les membres B regrettent le caractère trop peu concret du plan. Les décisions proprement dites sont aujourd’hui exclues de cette consultation.
  • [38] Le CFDD apprécie que l’article 5, §2 b) de l’avant-projet d’arrêté royal prévoie que le processus décisionnel devra tenir compte des aspects suivants : les aspects de sûreté, les aspects scientifiques et techniques, les aspects sociétaux et éthiques, les aspects environnementaux, les aspects économiques et financiers ainsi que les aspects légaux et réglementaires, étant entendu que les considérations liées à la sûreté priment.
  • [39] Le Conseil estime que la possibilité de stocker les déchets nucléaires à longue durée de vie produits en Belgique avec les déchets nucléaires d’autres pays dans une installation de stockage commun ne doit certainement pas être exclue a priori. Lors du choix d’un éventuel emplacement de stockage commun (en Belgique ou à l’étranger), les aspects de sûreté doivent primer. Dans ce cas, les pays concernés devraient évidemment assumer leurs responsabilités financières dans cette coopération. 

7. Consultation, implication de la société civile et transparence

 7.1 Consultation actuelle

  • [40] Le Conseil constate que tant la consultation du public que celle de la société civile se déroulent en pleine période de confinement liée à l’épidémie de COVID-19. Ce timing, prévu avant la crise sanitaire, a été discuté au sein du Parlement, qui a confirmé son souhait de conserver les délais initialement prévus[12].
  • [41] Les membres A constatent qu’au 31 mai 2020[13], 7650 réactions en provenance de Belgique[14]  avaient déjà été récoltées alors que la consultation 2010 totalisait en fin de processus 2800 réactions (Belgique et étranger). Par ailleurs, la crise a cloisonné une grande partie de la population chez elle et a libéré du temps qui a (ou aurait pu) permis à ces personnes de s’intéresser et répondre à la consultation. Ces membres constatent également que les moyens de communication actuels permettent des consultations au sein des diverses instances telles que le CFDD.
  • En outre, ces membres s’interrogent sur le caractère neuf de la demande (déjà il y a 10 ans) et de l’évolution des opinions des divers stakeholders sur ce sujet.
  • Finalement, ils constatent que le sujet a été débattu à la Chambre et que la conclusion adoptée a été de continuer les consultations actuelles.
  • [42] Les membres B attirent néanmoins l’attention sur le fait que cette période n’est pas idéale pour une telle consultation, étant donné que la priorité est mise sur la crise sanitaire, notamment par les médias. Ils estiment qu’un réel débat public ne peut pas avoir lieu de manière sereine en ce moment. Il est en effet notamment impossible d’organiser des rencontres de citoyens dans ces conditions.
  • Ces membres B soulignent également que consulter la société civile demande du temps et des moyens ; il s’agit d’un processus social long. Il faut que les diverses instances puissent consulter leur base, ce qui est compliqué tant par les mesures de confinement que par les urgences que ces instances doivent gérer, tant liées à la crise sanitaire qu’aux mesures de relance qui sont à l’étude pour gérer la situation socio-économique engendrée par cette crise. Ils regrettent donc que la société civile n’ait pas été impliquée dans une période plus propice et avec un délai plus long.
  • En conséquence, ces membres B demandent un report de la consultation publique ou une prorogation de la date de clôture de cette consultation.
  • Ces membres B demandent par ailleurs de porter une attention particulière à la fracture numérique : tout citoyen n’a pas un accès égal aux outils informatiques.

7.2 Prochaines étapes du processus de consultation

  • [43] Le Conseil apprécie la volonté affichée par l’ONDRAF d’intégrer une consultation publique dans les étapes ultérieures du processus décisionnel, mais regrette que les modalités n’en soient pas encore précisées et que la chronologie des différentes étapes ne soit pas mieux développée. En effet, ces étapes doivent encore être développées et décrites en profondeur. Le Conseil demande qu’une transparence maximale soit assurée non seulement lors des procédures de consultation, mais aussi lors des différentes étapes et choix dans la gestion des déchets[15]. Cette transparence doit permettre que s’exerce un contrôle démocratique[16]. Elle doit permettre à la société de savoir à tout moment à quelle étape du processus décisionnel on se situe, et sur la base de quels éléments les considérations sont établies.
  • [44] Le CFDD estime que lorsque le projet sera plus abouti et plus concret, l’ONDRAF devra faire preuve d’une grande pédagogie pour communiquer sur un sujet aussi technique. Une approche didactique et dialectique, exposant le plus clairement possible les avantages et inconvénients des différentes options, devra être adoptée.
  • [45] Le Conseil constate que la gestion des déchets radioactifs suscite des questionnements ainsi que de l’émoi au sein des populations des pays voisins.
  • [46] Les membres A estiment qu’au vu du caractère générique et non lié à un lieu spécifique du projet de plan, les gouvernements (de tous les pays européens) n’ont été qu’informés mais pas consultés. La consultation aura lieu lorsqu’un projet plus concret aura vu le jour.
  • [47] Les membres B regrettent que les gouvernements et populations des pays voisins n’ont à cette étape du processus pas encore été consultés, vu que plusieurs potentielles roches hôtes envisagées par l’ONDRAF risquent d’avoir des impacts sur les territoires et populations de ces pays. Ils estiment qu’un effort de transparence et de communication est nécessaire à l’égard de ces pays.

 8. Points d’attention

 8.1 Financement

  • [48] Les membres A rappellent que les exploitants sont légalement responsables du financement de la gestion des déchets et qu’une décision de principe pour le stockage permettra de mieux définir le type de gestion à venir et donc ces coûts.
  • [49] Les membres B estiment que la facture réelle de la gestion des déchets B et C est encore peu connue, compte tenu des grandes incertitudes des différents scénarios. Cependant, il est impératif de concrétiser d’urgence les différentes options, en incluant une estimation des coûts.

 8.2 Centrales nucléaires

  • [50] Les membres A rappellent que les déchets radioactifs (des centrales nucléaires, du secteur de la santé, …) sont présents et doivent être gérés, que l’on prolonge ou pas la durée de vie des centrales nucléaires. Par ailleurs, un surplus de moins de 50 m³ de déchets B et de moins de 50 m³ de déchets C seraient générés en plus par tranche de 1000 MW prolongée de 10 ans avec retraitement. Sans retraitement, il s’agirait d’environ 150 m³ de « spent fuels ».
  • [51] Les membres B tiennent à souligner que, compte tenu du degré élevé d’incertitude concernant la destination future des déchets B et C ainsi que des risques de dégradation, notamment, pendant le stockage temporaire, il n’est pas opportun de produire davantage de déchets en reportant la sortie du nucléaire au-delà de la date légalement fixée du 1er décembre 2025.

 

 

 

 

[1] « L’ONDRAF, Organisme National des Déchets RAdioactifs et des matières Fissiles enrichies, est l’organisme public créé par la loi pour gérer en Belgique les déchets radioactifs et les matières fissiles excédentaires. Il est responsable, depuis 1980, de la gestion sûre des déchets radioactifs en Belgique. L’ONDRAF mène, depuis plusieurs décennies déjà, des recherches sur des solutions à long terme pour la gestion des déchets radioactifs. Les solutions que l’ONDRAF préconise reposent donc sur des connaissances techniques et scientifiques approfondies. » (www.ondraf.be, consulté le 25/05/2020)

[2] Avant-projet d’arrêté royal établissant le processus d’adoption de la politique nationale relative à la gestion à long terme des déchets radioactifs conditionnés de haute activité et/ou de longue durée de vie et définissant la solution de gestion à long terme de ces déchets, 25 juin 2018, https://www.ondraf.be/sites/default/files/2020-04/Projet%20de%20Plan_FR_def.pdf

[3] Cf. Avis sur le projet de plan déchets de l’ONDRAF et sur son rapport stratégique sur les incidences environnementales, 2010a09, 24/09/2010, § [5].

[4] Consultables sur http://www-pub.iaea.org/MTCD/publications/PDF/P1273_F_web.pdf

[5] https://www.iaea.org/topics/nuclear-safety-conventions/joint-convention-safety-spent-fuel-management-and-safety-radioactive-waste

[6] Agence fédérale de Contrôle nucléaire

[7] Avis de l’AFCN sur le Programme National du 10 avril 2015 : « Sur base des documents actuellement disponibles, les Politiques Nationales relatives à la solution de gestion à long terme des déchets B&C devraient se limiter à une décision de stockage géologique incluant les options « galeries de stockage » et « forages profonds» »

[8] Voir notamment l’étude comparative des stratégies de gestion du combustible nucléaire belge, SPF Economie, P.M.E., Classes moyennes et Energie, 9 janvier 2016 : https://economie.fgov.be/fr/publicaties/etude-prospective-et

[9] Il s’agit de définir les modalités de réversibilité et fournir une analyse des avantages et désavantages de chaque alternative en la matière.

[10] Analyser les possibilités d’un stockage géologique partagé sûr. Dans un tel cas, chaque pays reste responsable de ses déchets et du financement de leur gestion et doit par ailleurs garder / développer une expertise propre afin de pouvoir disposer d’une solution de stockage nationale si nécessaire.

[11] Il s’agit d’analyser les possibilités de forages profonds.  Aucun pays ne considère que les forages profonds représentent une solution pour tous les déchets de haute radioactivité mais seulement pour de petites quantités de déchets radioactifs particuliers nécessitant un stockage irréversible. Le stockage géologique reste donc la principale solution.

[12] Voir la « proposition de résolution visant à suspendre la consultation publique de l’ONDRAF sur la gestion à long terme des déchets radioactifs conditionnés de haute activité et/ou de longue durée de vie durant la période de confinement face au Covid-19 », consultable sur le site web de La Chambre

[13] La fin de la consultation étant le 13 juin

[14] Hors réactions venant d’acteurs de pays étrangers

[15] Cf. Avis sur le projet de plan déchets de l’ONDRAF et sur son rapport stratégique sur les incidences environnementales, 2010a09, 24/09/2010, § [17].

[16] Ibid.

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